LE JOURNAL DU DIMANCHE - MARS 2017

LE JOURNAL DU DIMANCHE - MARS 2017

Vertiges : l’ombre du déracinement

La dernière création de Nasser Djemaï inaugure avec force la salle du Lanterneau de la Manufacture des OEillets, nouveau lieu du Théâtre des Quartiers d’Ivry.

Après Invisibles  (2014) sur les chibanis, ces travailleurs immigrés dans la France d’après guerre, Nasser Djemaï continue de creuser le thème de l’exil. Pour écrire Vertiges , il s’est inspiré de sa propre histoire et de témoignages. Plongée à l‘intérieur d’une famille « orpheline de sa propre histoire ». Tout se passe dans un appartement, au coeur d’une cité. Le père est malade. Nadir, le fils ainé, vient pour s’occuper de lui. L’arrivée de celui qui est l’image de la réussite sociale, alors que ses frère et soeur vivent de petits boulots, introduit le déséquilibre dans la maison. Déraciné, le père a la nostalgie du « bled », où il aime revenir chaque année pour y planter des arbres. La mère est soumise aux traditions et les enfants, eux, n’ont pas vraiment de repères. La présence erratique d’une voisine laisse planer des fantômes, des absences… Comme ses parents ont pu être des étrangers dans leur pays d’adoption, Nadir est l’étranger dans sa famille.

« Une montée de fièvre »

Ces thèmes de l’exil, du déracinement et de l’étranger sont les fils conducteurs de la pièce, que Nasser Djemaï traite avec une sensibilité aigüe. Il insinue dans le texte et la mise en scène (grâce à des projections vidéo sur l’ingénieux décor de Alice Duchange) les problématiques extérieures, comme les ombres de la tradition, de la religion. Aucun didactisme cependant, ni clichés ni démagogie dans ce travail et les (petites) maladresses dans le traitement fantastique de certaines scènes n’altèrent jamais l’authenticité et la sincérité du propos, relayées par l’investissement des comédiens. L’interprétation de Lounès Tazaïrt (le père) ancre profondément la douleur du déracinement, Zakarlya Gouram (Nadir) est particulièrement convaincant, mais aussi Fatima Albout, Clémence Azincourt, Issam Rachyq-Ahrad et Martine Harmel. Cette première programmation dans la salle Lanterneau de la Manufacture des OEillets, récemment réhabilitée, est de bon augure pour l’avenir du Théâtre des Quartiers d’Ivry.